Matthieu Haramboure : l’alchimiste sonore du Pays basque, entre enracinement et ouverture
À la croisée des traditions musicales basques et des esthétiques contemporaines, Matthieu Haramboure s’impose comme l’une des figures les plus singulières de la scène culturelle basque. Musicien, arrangeur, ingénieur du son et fondateur du label Belarri, il cultive un art du son profondément ancré dans son territoire tout en restant résolument tourné vers le monde. Avec plus de 30 ans de carrière, il mêle authenticité, exigence artistique et engagement militant pour défendre une culture basque vivante, audacieuse et libre.
Un musicien du rythme et de l’âme…
Formé au Conservatoire de Bayonne en contrebasse, il fait ses premières armes dans la musique et la danse traditionnelles avant de se tourner vers la basse électrique, qu’il apprend en autodidacte. Ce parcours hybride nourrit une sensibilité singulière, entre rigueur musicale et liberté d’improvisation. Il participe à plus d’une trentaine d’albums, au sein de formations comme Txakun, King Mafrundi, Doctor Deslai ou encore Bidaia, un groupe-phare mêlant musiques du monde et inspiration basque.
Sur scène comme en studio, Matthieu Haramboure défend une vision généreuse et sensorielle de la musique : « *Le matériel n’est qu’un moyen, la musique c’est de l’énergie* », dit-il. Son groove est au service de l’émotion. Sa technique, au service de l’humain.
Belarri : un label au cœur du territoire…
C’est dans cet esprit qu’il crée Belarri, à Cambo-les-Bains, un label fondé sur des valeurs fortes : respect des artistes, enregistrement en « lieux de vie », qualité acoustique et exigence de production. Belarri accompagne chaque année plusieurs projets musicaux, principalement portés par des artistes basques ou proches du territoire. Mais plus qu’un label, Belarri est une fabrique de récits sonores, un lieu où tradition et innovation se rencontrent dans une atmosphère chaleureuse, libre mais exigeante au sent artistique. Car ici, le talent ne se gâche jamais…
Matthieu Haramboure y cultive ainsi un artisanat exigeant et bienveillant, mettant tout en œuvre pour permettre aux artistes d’enregistrer dans des conditions optimales, loin des contraintes classiques des studios urbains.
Créer des deux côtés d’une frontière qui n’existe pas…
Si Belarri dispose du matériel nécessaire pour enregistrer et capter des artistes en situation “nomade” et mixer ce premier matériel pour le retravailler, Matthieu travaille la majorité de ses enregistrements au studio Lezoti d’oiartzun, dont il est partenaire depuis 2018, et dont le projet acoustique a été mené par Acousthink qui a par exemple élaboré tous les studio Red Bull du monde. Il s’agit d’un studio aux qualités sonores exceptionnelles et aux prestations professionnelles idéales où il aime travailler avec ses artistes en plein développement dans les mêmes conditions que les plus reconnus.
Un passeur entre les cultures, un semeur d’avenirs…
Curieux et ouvert, Matthieu Haramboure revendique des influences éclectiques : de Peter Gabriel à Björk, de Tinariwen à Oskorri, de Genesis à Youssou N’Dour. Ces musiques du monde l’ont nourri autant que les sonorités de la vallée de la Nive. Sa production reflète cette alchimie unique entre racines et horizons lointains. Il incarne cette génération d’artistes qui pensent la culture basque dans un dialogue permanent avec les autres, à la fois fière de ses fondations et avide d’échange. Car l’ADN de la culture basque est si forte qu’elle ne se perd jamais dans ses hybridations : elle se renforce.
Une voix pour les artistes basques…
Matthieu Haramboure est aussi un homme de combat. Il relève régulièrement les inégalités de reconnaissance et de rémunération dont souffrent les musiciens basques, en particulier en France, où la SACEM ne valorise pas les œuvres dans la langue basque au même titre que les autres. À travers Belarri, il milite pour une meilleure visibilité et un soutien accru à la scène locale, plaidant pour que les pouvoirs publics prennent conscience de la richesse et de la vitalité artistique du territoire. Offensif sans être agressif, Matthieu aime utiliser la raison et la sagesse pour défendre ses causes artistiques : on ne doit jamais voler le talent, jamais abuser des artistes, car ce qui est le plus précieux et souvent le plus fragile.
Un créateur enraciné et inspirant, des racines à la canopée…
Installé au Pays basque, père de famille, Matthieu Haramboure incarne une génération de créateurs enracinés et engagés, offensifs et bienveillants, artisans du son et bâtisseurs de liens. Il accompagne des artistes d’ici et d’ailleurs, crée des ponts entre les traditions et les langages contemporains, et participe activement à l’écriture d’un nouveau chapitre de la musique basque. Il sait que le chêne basque, symbole de notre peuple, doit autant à ses racines ancrée dans notre terre qu’à sa cime tournée vers tous les horizons.
Avec Belarri, le Pays basque s’écoute autrement. Grâce à lui, de nouveaux artistes et leurs musiques naissent, grandissent et résonnent tout autour de la Terre. Matthieu montre par son exemple qu’un artiste peut créer dans son village et toucher la planète à une époque où le monde est devenu un village et nos villages sont devenus des laboratoires du monde.
Merci Matthieu pour votre talent et votre humilité.
© Franck Sallaberry pour Pays Basque Excellence.
Son Autobiographie :
Issue d’une famille sportive et mélomane, j’ai vécu une enfance insouciante (à Cambo), rythmée par le sport quotidien (judo, natation, foot, rugby, tennis, squatch, cyclisme…), la danse traditionnelle, la musique, et les rassemblements (quotidiens aussi) avec les copains du quartier pour prolonger les entrainements de foot, les courses de vélo, et refaire le monde, ou du moins le nôtre, à une époque où il était naturel de vivre dehors, où 1984 était l’année de la 5ème et Orwell de la pure science-fiction.
À la maison il y avait un tourne-disque, et l’on trouvait dans “l’armoire à disques” des symphonies de Mozart, Vivaldi ou Brahms, des albums de Jean Ferrat ou Léo Ferré, mais aussi de Pink Floyd, Errobi et de chanteurs que j’ai eu la chance d’accompagner tels que Peio eta Pantxoa, Urko, Gorka Knõrr ou Gontzal Mendibil…
– À dix ans ma mère m’offre pour noël un magnétophone et trois cassettes de Jean-Michel Jarre : Equinoxe, Oxygène et Concert en Chine. Je suis complètement hypnotisé par ces sons semblant venir d’une autre planète…
– À 12 ans j’achète ma première cassette (aux Musardises), “Thriller” de MJ, et cette même année je décide d’arrêter la musique à jamais à l’issue d’une année (de plus) de souffances à l’école de musique où le directeur et professeur de clarinette de l’époque avait décidé que je n’étais pas fait pour ça. Cette même année je gagne une chaine Hi-Fi à la tombola de la kermesse paroissiale et commence à collectionner les vinyles.
– À 14 ans SO de Peter Gabriel intègre ma discothèque, il sera pour moi la porte d’entrée vers l’univers de cet artiste, en solo ou avec Genesis, qui deviendra une source d’inspiration majeure dans mon parcours de musicien, mais aussi de producteur et jusqu’à la naissance de Belarri.
Durant cette même période les albums d’Oskorri, Itoiz et Ruper Ordorika remplacent ceux de Peio eta Pantxoa et Gorka Knörr, et deviennent également des sources d’inspiration principales qui m’accompagnent encore aujourd’hui : Oskorri pour son adaptation contemporaine de la musique traditionnelle et dansée, et les deux autres pour leur intégration du Basque dans la musique pop et rock, avec ce supplément d’âme qui les rend incontournables encore aujourd’hui.
(Note : nous vivons actuellement une régénération de la musique d’expression basque avec l’assimilation (tardive) des sonorités électroniques, qui mène à un courant fort intéressant que je suis de très près).
Cette même année je fais l’acquisition de ma première basse que j’apprivoise de manière autodidacte, avec l’ambition de jouer sur les albums de Genesis.
Durant toute cette période, nous avons un rendez-vous tacite avec ma mère tous les samedi soirs aux alentours de 23h, pour suivre l’émission “Les Enfants du Rock” et toute l’actualité de la “Pop Culture”, notamment musicale.
Les années lycée sont celles de mes premiers groupes, et ces expériences me conduisent à une évidence : la musique sera le moteur de ma vie et mon métier. En terminale je fréquente les élèves du BTS Audiovisuel du Lycée René Cassin, je prends conscience de la dimension technique du son et ma vision du futur s’affine : je serai musicien mais aussi derrière la table de mixage. Mes influences à l’époque sont Thomas Dolby, Wally Badarou, Daniel Lanois ou Brian Eno.
Malgré les réticences familiales (compréhensives), j’entre ensuite rapidement dans la vie active grâce au régime de l’intermittence du spectacle, tout en débutant l’étude de la contrebasse au CRR de Bayonne, je m’initie aux (nouvelles à l’époque) techniques de la Musique Assistée par Ordinateur, et valide un BTS Audiovisuel quelques années plus tard.
Aujourd’hui la musique est toujours aussi importante dans ma vie, j’en écoute beaucoup, j’officie toujours de temps en temps en tant que musicien, mais aussi et surtout au sein de Belarri en tant qu’arrangeur, ingénieur du son, producteur ou directeur de la maison de disques.
Un autre aspect important dans ma vie est mon attachement à cette culture basque, Belarri est en quelque sorte ma manière de militer pour son développement, ma petite pierre à l‘édifice.
VOUS
Quel héros vous fascinait quand vous étiez enfant ?
Mon père, Michael Jackson, Carl Lewis et Serge Blanco
Quelles sont les valeurs qui vous sont essentielles ?
- L’honnêteté intellectuelle
- La justice / l’équité
- Le souci de l’autre
Quel souvenir aimeriez-vous laisser à ceux que vous aimez ?
Quelqu’un d’aimant et de bienveillant
Quels sont selon vous les clés du bonheur personnel ?
Se connaitre
VOTRE MÉTIER
Quel a été votre premier job dans la vie ?
Sérieux ? Des chantiers de peinture avec mon père, castrage de maïs, et dès 16 ans les premiers concerts rémunérés.
À quoi ressemble une de vos journées de travail aujourd’hui ?
Elle est théoriquement scindée en deux parties :
- le matin est consacré aux tâches administratives et de communication
- l’après-midi aux activités créatives : enregistrement, mixage, arrangement, composition
- le soir est aussi consacré à l’une de ces deux tâches lorsque c’est nécessaire
Les tâches administratives prenant de plus en plus de place dans la gestion du label, les après-midi sont en ce moment beaucoup moins créatives, néanmoins je travaille a rééquilibrer ces deux domaines pour retrouver ce pourquoi j’ai créé mon activité : la musique.
Quelles sont les qualités professionnelles que vous appréciez ?
La première est une lapalissade : le professionalisme. J’ai assisté en 2023 au témoignage d’un formateur d’une structure de professionalisation / professionalisante bordelaise qui disait qu’au delà de l’apprentissage d’un métier ou d’une compétence, cette structure s’attachait a former à l’état d’esprit professionnel.
Pour moi être compétent est la moitié du “chemin”, l’autre moitié consiste en une somme de qualités telles que le sens du compromis, une bonne communication, une bonne compréhension des différents enjeux d’un projet, la ténacité…
Quelles sont selon vous les secrets du succès professionnel ?
Didier Lockwood disait que son plus grand talent était sa capacité de travail. J’y ajouterais la patience, la persévérance, une bonne communication (au sens propre comme dans le monde virtuel), l’envie, et un rien d’opportunisme…
VOTRE PAYS BASQUE
Quel est votre meilleur souvenir au Pays Basque ?
Il y en a tellement…
Quels sont les lieux que vous aimez fréquenter ici ?
Il y en a beaucoup :
- l’endroit où j’habite évidemment : Cambo, Itxassou, Larresore, Les cîmes…
- Xareta, le Baztan, Bortziri
- l’ancienne com. d’Agglo « Sud Pays Basque » de Ciboure à Hendaye, Txingudi
- Oiartzun, Hernani (Ereñotzu)
- Durango et ses alentours, Abadiño, Elorrio… jusqu’à Oñati
- Goierri : Beasain, Ordizia, Segura, Zegama
- Behorlegi, Irati, Ahüzki
- Musculdi, Ordiarp, Aussurucq
- Banca, Urepel, Auritz, Orreaga (Ronceveau)
- Sakana / Urbasa = Dorrao (j’y jouais tous les ans pendant 15 ans…)
- Ribera, Viana
- Toutes les capitales évidement avec leurs spécificités et leurs « bon coins », leurs fêtes…
- Et il reste tellement à découvrir !
Comment définiriez-vous l’identité et la culture basques ?
Comment définis-tu l’identité et la culture française de Rijsel (Lille) à Masillia, et de Plougastel à Strasbourg ? (Outre le fait que Oil se soit propagé sur tout le(s) territoire(s) jusqu’à même celui d’Oc au sud).
Pour moi il n’a a pas une mais des identités basques déterminées par des zones géohistoriques et des « dialectes » (euskalkiak) différents, mais batis sur une racine linguistique commune.
À quoi ressemblerait votre Pays Basque Idéal ?
Mon Pays Basque idéal est une nation reconnue qui coexiste en bonne intelligence avec les autres nations qui le composent. Un territoire transfrontalier et bascophone, dont le processus de paix a mené les deux forces politiques majeures à se réconcilier afin d’enfin pouvoir regarder dans la même direction autour de ce qui constitue sa spécificité : sa langue, et les richesses culturelles qu’elle véhicule. (Langue – soit dit en passant – encore en danger d’instinction sur le territoire français aujourd’hui).
VOTRE QUESTION
Quelle question aimeriez vous poser si vous étiez sûr(e) d’avoir la réponse ?
Pourquoi l’expérience d’un seul individu, qui possède la connaissance universelle en lui (de manière plus ou moins consciente je l’admets), ne suffit-elle pas à l’univers pour passer à autre chose ?
En d’autres termes pourquoi sommes-nous obligés de passer par millions par le même type d’épreuves alors que nous pourrions vaquer à d’autres occupations : shopping, aqua-poney, parapente… ?
Vous avez quatre heures…