Distingué au titre de sa direction éclairée du Lycée agricole d'Hasparren, de ses talents de plume, de sa passion pour l'agri-"culture", et de son soucis de transmission aux jeunes générations.

NOTRE PORTRAIT :

LE ROI VERT D’HASPARREN

Bertrand GAUFRYAU est un homme sympathique d’emblée… ce qui est de plus en plus rare de nos jours.

Dans son polo fuchsia, il fait d’abord penser à un réalisateur avec ses faux airs de Patrice Leconte, ou à un metteur en scène de théâtre, ou à un critique d’Art contemporain. Il est bien loin du cliché des responsables d’établissements qui vous reçoivent en costume gris et en suivant un protocole un peu désuet, ce qui n’est pas un défaut non plus, vous me direz. La glace est très vite brisée au soleil de son sourire. Ainsi, dès que Bertrand Gaufryau se met à parler de son métier, un charme très professionnel opère…

On découvre vite que derrière les lunettes aux branches fluorescentes se cache un esprit vif, aux racines profondes, exigeantes ; que son sourire n’est pas un signe de superficialité, mais de bienveillance naturelle. S’il parle vite, d’une voix posée, toujours en souriant, c’est qu’il maîtrise ses sujets. Son souci de valoriser les autres, les élèves de son établissement d’abord, le lycée agricole d’Hasparren, passe bien avant des postures sociales qu’il a dépassées depuis longtemps.

Le pro derrière les lunettes fluo…

La nature de l’homme continue à surprendre. On l’imaginerait davantage à la tête d’un musée tendance, à la programmation d’un grand théâtre ou à la tête du service communication d’une institution… Mais à la tête d’un lycée agricole… non. On se demande bien comment il en est arrivé là.

Puis il aborde son parcours, de l’Afrique où il s’est occupé de coopératives de femmes, de ses trois ans au Québec qui lui manque encore, de son arrivée ici… De ses directions d’établissements avant en Charente, à Dax, à Bordeaux et ailleurs ; de son coup de foudre inattendu, même pour lui, pour les territoires, pour l’agriculture et pour ceux qui la font. Selon lui l’agriculture est le berceau de la culture de notre civilisation, le vecteur de la transmission pendant des millénaires, une histoire vitale pour notre espèce que nous portons tous quelque part dans notre subconscient.

Globe trotter de l’éducation…

Alors oui il est à la tête du lycée, mais il se moque des titres… parce qu’il vise le coeur des organisations. Pour lui l’important n’est pas d’être au sommet des hiérarchies, mais au centre, au milieu des échanges. Pour initier les débats, il est prêt à poser et à répondre à toutes les questions, c’est même un devoir dans son métier. N’est-ce pas ainsi que Socrate formait ses élèves, grâce à la maïeutique, en les aidant à accoucher d’eux-mêmes ?

Comme le dit Bertrand Gaufryau, nous avons une responsabilité immense par rapport aux jeunes, car ils sont les citoyens de demain. C’est nous qui devons les sensibiliser, les faire émerger, les inspirer pour qu’ils deviennent des adultes équilibrés, des citoyens responsables, des êtres humains aimants et épanouis, capables d’aller au bout de leurs passions et de relever leurs propres défis.

La recherche d’équilibre dans l’argumentation, de tempérance joyeuse dans le propos : la marque d’un homme aussi sage qu’heureux.

Au cours de notre échange, nous abordons tous les sujets : la ruralité, les équilibres politiques au sein de l’agglomération, l’aberstalisme, l’économie locale, l’avenir, l’écologie, les gilets jaunes… Toujours la même recherche d’équilibre, toujours la même tempérance, toujours ce souci de laisser s’exprimer toutes les idées, mêmes les plus différentes, surtout d’ailleurs. Car Bertrand Gaufryau fait confiance en l’espèce humaine.

En évoquant les ruches qui ont été installées derrière le lycée, il dit ne pas s’imaginer comme la reine de la ruche, mais comme une sorte de passeur de témoin et de parole pour que les trente enseignants et ses 200 élèves dialoguent, se posent les bonnes questions ensemble et surtout puissent trouver leurs propres réponses. Il est conscient que même comme Directeur, il n’a pas toujours d’emblée les bonnes solutions, mais ce n’est pas grave pour lui, il sait que l’on peut toujours les chercher à plusieurs, et que c’est d’ailleurs la meilleure façon de les trouver durablement.

Il parle de ses professeurs avec beaucoup d’estime et presque de tendresse, car leurs profils vont d’agrégés ou de doctorants à d’anciens mécaniciens agricoles, et ce mélange est à la fois nécessaire et heureux pour les élèves.

Bertrand Gaufryau en est à sa vingt-deuxième rentrée de lycée en 2019. Il ne s’en lasse pas. Il évoque le verger derrière nous que l’on voit par la fenêtre, et des 22 variétés de pommes qui y poussent sans pesticide, comme un symbole de diversité et de responsabilité. Il évoque la venue de Didier Guillaume, « son » ministre, de la raréfaction des espaces de maraîchage au Pays Basque, mais il rappelle les 4 AOP : L’ossau-Iraty, le piment d’Espelette, le porc Kintoa, et le vin d’irouleguy… Aucun autre territoire n’en a autant au mètre carré.

Il explique que dans agriculture, il y a culture ; que c’est au Pays Basque que l’on voit le plus de jeunes venir s’installer et qu’il y a le moins, voire pas, de suicide. Mais il ne cache pas que sans les aides européennes, les modèles économiques agricoles ne seraient pas tenables. C’est un sujet important de réflexion entre les deux chambres d’agriculture et des producteurs engagés comme Idoki par exemple.

Comme il le dit quand on évoque le bien-être animal, il existe encore les transhumances, ici. On produit généralement en moyenne autour de 25 000 litres de lait par exploitation, pour préserver les mamelles des brebis. Il aime ici voir des brebis heureuses, ce n’est pas le cas dans toute la France, sans même parler du monde.

« J’aime à voir des brebis heureuses quand je me promène sur les exploitations. »

Bien entendu, nous parlons d’immobilier, d’artificialisation des sols, du béton qui gagne sur la nature et les espaces verts… Pour le directeur du lycée agricole d’Hasparren, le territoire n’est pas qu’un support, c’est une âme collective. Il évoque l’Agglomération Pays Basque, la vision à grande échelle qu’elle permet, son modeste travail au sein du conseil du développement, les défis à relever pour faire de notre territoire une oasis de nature et de culture, protégé des sirènes de la spéculation, qui chantent si bien en ce moment…

Il me rappelle, en abordant l’avenir, que les lycées agricoles ont une mission d’expérimentation et d’animation du territoire.

Trois grands projets…

À ce titre, avec son équipe, il développe trois projets, qu’il compte bien mener jusqu’au bout, car c’est dans son tempérament.

Il y a d’abord la route des AOP, un projet de valorisation des productions locales, qui mettra en relief l’importance stratégique des appellations d’excellence pour notre avenir agricole.

Ensuite il y a le beau projet d’un sentier patrimonial qui fera deux boucles : l’une de trois kilomètres autour du lycée et un plus longue autour d’Hasparren pour valoriser le patrimoine naturel, historique, architectural de la ville. Un vrai parcours initiatique et un laboratoire à ciel ouvert pour les élèves dans un futur proche.

Enfin, il y a la volonté d’installer une résidence d’Artistes sur le lycée, en été, quand il est déserté, afin que la culture et l’agriculture se pollinisent avec talent.

Je regarde discrètement ma montre, deux heures sont passées comme dix minutes…

J’ai envie d’évoquer les chroniques que tient parfois mon hôte dans la presse locale, mais il me parle très modestement d’un livre à paraître : 30 portraits de gens célèbres ou pas, mais toujours fascinants… Je souris, je suis venu pour écrire son portrait et il me parle de ceux qu’il fait des autres : la boucle est bouclée…

Nous échangeons sur l’économie circulaire locale, la permaculture, le recyclage des déchets, le cycle des saisons… Bertrand Gaufryau se révèle parfaitement à l’aise sur tous les sujets : le tas de livres hétéroclites sur son bureau témoignent de son ouverture d’esprit.

Un bureau bibliothèque pour tous…

Il insiste sur le fait que l’agriculture est le berceau de notre civilisation et que, plus que jamais, son avenir dépendra d’elle tandis que le climat change… L’agriculture c’est notre passé et notre futur, l’héritage que l’on reçoit du passé et celui que l’on léguera au futur. Bertrand Gaufryau sait que de la passion des élèves qui passent par son établissement dépendra en partie ce que produira notre Terre et ce que deviendra le principe même de notre humanité dans une dizaine d’années.

Finalement je ne m’étais pas trompé au premier contact, cet homme est bien un passeur de passion et d’émotion : une sorte de metteur en scène, de régisseur du théâtre du vivant local, traitant ses contemporains comme des oeuvres, toutes originales, toutes dignes d’intérêt…

Au théâtre, le vert porte malheur. Force est de constater qu’il porte bonheur à ce roi vert d’Hasparren qui voit l’humanité et la nature comme deux magnifiques dramaturgies complémentaires qu’il est temps de réconcilier.

Une magnifique mission qu’il compte bien accomplir ici… Car il sait tout ce qu’il doit au Pays Basque qui l’a si bien accueilli.

© Franck Sallaberry pour l’Institut Pays Basque Excellence.

 

SON AUTO-BIOGRAPHIE :

Originaire de Talence (33), économiste, après avoir été expert au Bureau International du Travail, puis enseignant chercheur au Canada à Moncton et à Québec, je suis depuis 22 ans maintenant Chef d’Etablissement dans l’enseignement agricole avec une parenthèse dans l’éducation nationale. J’ai eu la chance de voyager et découvrir dès 1988 la plupart des pays d’Afrique Francophone, de poser les pieds à Johannesburg à la sortie de l’apartheid, d’accompagner le développement de ces micro-entreprises qui font la richesse d’une économie et d’une culture, comme les « mamas Benz » de Cotonou. I

Investi dans la cité…

Investi dans la «cité», j’ai toujours été très impliqué dans les questions éducatives et coopéré avec le pédagogue Philippe Meirieu pour porter le message d’une école forte, celle de la transmission des savoirs et de l’émancipation. Mais une école forte ne peut se construire que si le dialogue social est réel. Mon passage au Bureau International du Travail a imprimé cette culture dans mon ADN.

Une école forte pour un avenir éclairé !

Assesseur au tribunal pour enfants, correspondant courrier de détenus, je n’ai jamais quitté, dans le milieu associatif, l’appui aux personnes fragiles sans domiciles. Avec Albert Jacquard, Philippe Meirieu, Stéphane Hessel, Noël Mamère, Eve Ricard, Jean-Michel Hirt et Jacques Gaillot, j’ai publié plusieurs tribunes faisant référence aux grandes questions de société.

Amoureux des Mots…

Amoureux des mots, je suis très attaché à la terre, ce qu’elle offre et à son histoire. Supporter de longue date des Girondins de Bordeaux et de la tortue béglaise, j’ai toujours aimé partager les merguez et bières d’avant et d’après match. Je peux aussi bien enfiler mon costume de festayre, vivre un concert de l’orchestre national de Bordeaux Aquitaine, participer à un spectacle de l’école de mes enfants, que de bouquiner dans mon hamac… J’aime la vie, les gens, tout simplement

 

© Franck Sallaberry pour L’institut Pays Basque Excellence / Crédit Photo : PBex

VOUS

Quel héros vous fascinait quand vous étiez enfant ?

Capitaine Flamme !

Quelles sont les valeurs qui vous sont essentielles ?

La loyauté, la fidélité, l’humilité et la fierté.

Quel souvenir aimeriez-vous laisser à ceux que vous aimez ?

Quelqu’un qui a servi et aimé.

VOTRE TRAVAIL

Quel a été votre premier job dans la vie ?

Bénévole à ATD QUART MONDE…

A quoi ressemble une de vos journées ?

Café(s)-rencontres multiples avec les adultes de l’établissement et des acteurs du territoire pour construire chaque jour des projets au service de la réussite des jeunes.

Quelles sont les qualités professionnelles que vous appréciez ?

Les personnes qui vivent selon la démarche « Essai-erreur ».

VOTRE PAYS BASQUE

Quel est votre meilleur souvenir au Pays basque ?

L’accueil dans mon village d’Iholdy !

Quels sont les endroits que vous aimez fréquenter ?

Le bord de l’eau, les plages, la douceur des paysages de l’intérieur, les rues de Bayonne, Hendaye, Espelette ou Biarritz… Les restaurants, les bars, les galeries d’art(s), Aguilera ou Jean Dauger (pour ne fâcher personne…)… »mes restaurants » d’Hasparren, la Villa Arnaga…

À quoi ressemblerait votre Pays Basque Idéal ?

Un Pays qui n’oublie jamais l’humilité et les fiertés de son histoire, de sa culture, de ses combats et qui préserve la qualité de son territoire !

VOTRE QUESTION

Quelle question aimeriez vous poser si vous étiez sûr(e) d’avoir la réponse ?

L’amour existe-t-il après la mort?